Fouettez la crème sans ménagement, si vous n’avez pas de fouet, utilisez des verges
P.Dac
Un torrent de partis-pris tranchés s’est déversé sur le net après l’attentat pâtissier de Namur. Essayons d’écarter d’emblée les considérations sur le bien-fondé de cet humour potache (considéré comme non poétique par Jan Fabre) qui fait hurler de rire les uns et écumer de rage les autres.
Les invectives, les injures déplaisantes entrecoupées de sous-entendus aussi bien antisémites que distributeurs de points Godwin au sujet de Siné, Charlie, BHL et consorts, ont démontré, une fois de plus, le pouvoir évocateur et symbolique de la tarte à la crème. Essayons cependant, tant que faire se peut, d’atténuer les passions et d’élever le débat à sa vraie hauteur, car il le mérite.
Objectivement, ni l’infatigable flibustier de Schaerbeek, ni le général d’armée du Flore, ni l’éleveur de scarabées d’Anvers, ne sont des crétins finis, malgré ce que leurs détracteurs proclament et tonitruent avec ardeur. Ils ont chacun leurs qualités. Entre autres, celle de nous intéresser et bien souvent nous amuser, vu qu’ils sont bons clients des plateaux de télévision.
Le lancer pâtissier, et la polémique qu’il soulève, ont cependant malheureusement occulté, le principal intéressé dans cette histoire, que tous s’empressent d’ignorer, et qui s’appelle Félicien Rops.
Notre artiste bien-aimé est pourtant celui qui est censé légitimer toute cette fanfaronnade cultureuse que l’on nous sert gentiment à la louche. Comme d’habitude, les morts ont le dos large, et les plus ambitieux vont y planter sans vergogne leurs pitons d’escalade. C’est sur leurs dos qui ont tant souffert, qu’ils revisitent l’histoire, à leur avantage et à leurs dépends.
Hé oui, cet immense génie sulfureux encore sous-évalué, qu’on a inhumé de force dans le cimetière de cette ville qu’il détestait par dessus tout, pour ensuite se retrouver à Mettet, dans le caveau familial des Polet de Faveaux, où l’a rejoint sa première épouse Charlotte en 1929 selon les convenances. Oubliées les sœurs Dulucs, Aurélie, Léontine, et sa fille Claire, qui remplissaient sa vie choisie. Condamné à perpète à Namur…
Aujourd’hui, c’est de son œuvre et de son instrumentalisation naïve qu’il s’agit. Il faut avouer qu’on n’y est pas allé de main morte. L’exposition est censée être, excusez du peu, une mise en parallèle et en fusion de l’artiste Jan Fabre avec le brave Féli, qui n’en demandait pas tant. On va même éditer un carton d’invitation, sur lequel se mélangent les visages des deux compères supposés. Pour commenter et cautionner cette prise d’otage, on fait appel au philosophe le plus médiatisé, lequel s’empresse de revêtir la jaquette de Baudelaire, couverture rigide pleine toile, pour grimper hardiment, sur la scène historique revisitée pour la circonstance (il n’est pas à son premier coup d’essai en matière de critique d’art, son passage à la Fondation Maeght est une curiosité).
Le reste, on le connaît. C’est dans le terrible et délicieux catafalque 1) de l’église Saint-Loup, que les deux complices auto-proclamés ont invité le public non-initié à être mis au courant du bien-fondé de ce mariage culturel arrangé. Ensuite, survient l’escouade pâtissière qui met un point d’orgue à cette cérémonie plus que douteuse.
En fait, l’impact publicitaire en faveur du musée Rops de Namur est réussi. Ceci, sans débourser un euro. On peut donc en féliciter les organisateurs. On se précipitera donc pour aller visiter l’exposition, et pourquoi pas, vite aller jeter un œil à Saint-Loup, où se superposent désormais l’endroit fatidique où Baudelaire subit un arrêt cardiaque, et BHL un lancer de crème fouettée.
A chacun sa route, à chacun son destin, ceux qui vous suivent, hélas, se chargent du reste.
Jacques Charlier, Artiste.
1) Charles Baudelaire, Œuvres posthumes, 1908.
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