SOL LEWITT. SYMPHONIE POUR COULEURS ET TRAITS.
Quand un artiste adopte une forme conceptuelle d’art, cela signifie que tout est prévu et décidé au préalable et que l’exécution est affaire de routine. L’idée devient une machine qui fait l’art.
Sol Lewitt.1967.
En marge du marché et de ses valeurs surfaites, il est parfois des événements qui rappellent que histoire de l’art n’a pas complètement rendu l’âme. Deux expos de haut niveau, d’égale intensité d’un même artiste, par ces temps d’incompétence et de prétention, cela s’appelle un miracle.
Les dessins muraux de Sol Lewitt (1927-2007) réalisés au Pompidou de Metz et au M-Museum de Leuven ne sont pas seulement complémentaires, ils provoquent le même éblouissement émotionnel, esthétique et spirituel. On ne peut pas s’empêcher de faire un parallèle avec la musique de Phil Glass. Le déploiement progressif de leurs oeuvres respectives a une parenté d’inspiration. Les excellents films réalisés aujourd’hui lors de l’élaboration des dessins muraux dans les deux musées révèlent encore mieux cette proximité. Dans les partitions de Glass, on trouve aussi cette part d’improvisation permise aux exécutants. Même application d’un programme répétitif avec variations progressives de part et d’autre.
Ces films documentaires, inhérents aux deux expositions sont très importants, car ils décrivent le processus d’exécution pas à pas et nous entraînent à décrypter l’oeuvre dans ses moindres détails. Grâce à eux, on perçoit davantage les différentes étapes de cette énorme organisation humaine. Avec ses parts de doute, de passion, d’hésitation, de manquement, d’erreur, sa recherche constante de perfection. Il se dégage de ces images une ferveur palpable de la part des exécutants et nous sommes d’autant plus touchés en découvrant la simplicité des outils et des matériaux mis en oeuvre. Cartouchières de crayons soigneusement affûtés, éponges trempées de couleur maniées avec délicatesse et dextérité, corrections guidées au laser, poses et enlèvement chirurgical des bandes caches, retouches à la craie et au pinceau, rien n’est laissé au hasard des bavures ou repentirs. Il s’agit dans les délais, d’exécuter rigoureusement un projet décrit à l’aide un schéma de principe sommaire.
C’est la caractéristique principale de cet art que de pouvoir être réalisé par d’autres à condition d’en respecter scrupuleusement les règles, tout comme un orchestre le fait avec une partition musicale. C’est le testament d’une oeuvre que la pensée de l’artiste a fixé une fois pour toutes que l’on voit ici se déployer avec force. Échappant aux affres du temps, des modes et du vieillissement, les dessins peuvent être effacés, déplacés et refaits partout dans le monde. Ils seront perpétués quoiqu’il advienne, au gré des désirs des générations.
C’est le coup de génie de Lewitt d’avoir saisi le trait et la couleur par la racine, en leur dictant des structures mathématiques simples. Ces murs embrassent notre vision et produisent à notre insu un moment unique de contemplation quasi monacale. Même si le concept de base date d’une époque révolue, il n’a pas perdu sa fraîcheur première et encore moins son efficacité radicale. Ces deux expositions sont la preuve que ce projet mental n’a pas fini de nous fasciner, car il remet constamment l’oeil et l’esprit en question. Allez y jeter les vôtres au plus vite, ça vous remettra d’aplomb.
Jacques Charlier. 2012.
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