BIEN VU
Qui a la vue courte, doit regarder de près
François II a fait preuve de perspicacité médiatique en inaugurant la Monumenta de Buren. Il a profité de ce décor idéal pour théâtraliser avant le sacre, une volonté mitterrandienne de la gauche envers l’art en chipant un peu la vedette à l’artiste. Cet événement très public a illustré pourtant certains aspects et non des moindres du système burenien. A savoir, le public devenant à la fois spectateur et figurant, pris au filet d’un dispositif simple en apparence et sophistiqué dans ses fondements visuels, textuels et musicaux. Ce n’est pas sans un étonnement amusé qu’on peut découvrir dans l’espace généralement envahi chaque année par le marché couvert de l’art, un marché ouvert au regard. Contrairement à ses prédécesseurs dans ce lieu, pas d’ installation écrasante, pas de train fantôme avantgardiste de foire vous contraignant à endosser du pathos à la louche. Pas d’angle de vue privilégié, de point d’écoute plus rare que d’autre. Le déambulatoire s’étale tel un vitrail horizontal, traversé par la lumière, de jour comme de nuit. Chaque instant la partition se révèle autre. Elle se déroule dans l’immédiateté insaisissable, sans moments creux ou rupture d’ambiance. Elle ne révèle que l’architecture des lieux en l’accompagnant et la contrariant à la fois. Tout en niant avec humour une monumentalité inspirant le pouvoir, la forêt joyeuse de poteaux soutenant les ombrelles n’offre aucun obstacle. C’est le manque de parois et quelques miroirs qui désarçonnent l’orientation et la perception de l’espace. Les détracteurs pourront s’acharner à l’aise sur ce vertige que procure la déambulation, car on n’y rencontre aucun objet ou message à emporter. D’où la frénésie des visiteurs à photographier partout et nulle part, y compris eux-mêmes, sous la musique douce d’Alexandre Meyer. Les seules balises à rencontrer sont les médiatrices sympas qui peuvent vous faire la causette sur les intentions de l’artiste. La conclusion de cette pérégrination colorée et poétique se trouve curieusement à l’extérieur, lorsque notre regard et notre ouïe , brusquement reprennent contact avec la réalité de la rue. Nous sommes alors animés d’un nouvel état de fraîcheur de regard , d’une nouvelle approche du monde. Aussi qu’on ne se méprenne pas trop vite sur le sens politique du montage de Buren. Il est plus subversif qu’il n’y paraît en raison de la multiplicité des points de vue et pas seulement celui de la gauche. Il échappe ainsi à l’enfermement de l’art et, contrairement à l’installationnisme habituel, il aura le grand mérite de ne pas encombrer les réserves des musées et des Fracs. Tout n’est donc pas perdu tant que flotte au plus haut, la bannière rayée un brin nipponne, à côté du drapeau étoilé européen.
Jacques Charlier, mai 012
1 comment
Jack
Bravo mon ami ! Je suis avec toi…