En réalité, Buren est devenu célèbre en France pour de mauvaises raisons. C’est la polémique franchouillarde, sur les colonnes du Palais Royal, qui l’a révélé au public et en a fait un artiste scandaleux.
Dans le micro milieu artistique français, il était méprisé, honni et jalousé, proportionnellement à sa renommée internationale. Aujourd’hui, il est courtisé, adulé, et ses colonnes sont parfaitement intégrées à la vie parisienne. Loin de faire suite aux commentaires et aux polémiques pros ou antiburenniennes, posons plutôt la question que ne soulève aucun milieu branché. Quelle est la part d’humour dans ce travail très particulier ? Pourquoi n’en parle-t-on jamais ?
Ceux qui on suivi depuis le début ses pérégrinations se rappellent son occupation spectaculaire du centre du Musée Guggenheim en 1971, et l’enlèvement de la banderole avant l’ouverture de l’expo, sous la pression de Judd, Flavin et Heizer. L’opération qui a eu lieu à Beaubourg est pourtant du même tonneau, mais cette fois avec l’assentiment naïf de tous.
Si l’on prend le nécessaire recul par rapport au dispositif des mises en gardes visuelles, révélant par la même occasion un catalogue complet des préoccupations minimalistes des meilleurs artistes des années soixante à nos jours, on est envahi par la bonne humeur. Les 2.500 m2 du 6ème étage et comprenant les soixante et une cellules, apparaissent dans l’édifice, comme une greffe légère, aérienne, japonisante, d’où leur étrangeté paradoxale. L’élégance naturelle de l’ensemble fait dire aux bien-pensants que l’on rencontre qu’il s’agit d’un montage «décoratif». C’est bien là que se trouve le piège de Buren. Ce dédale en soi n’a de sens que par rapport au contexte. Le sixième est l’appartement d’un locataire de bon goût qui vient d’aménager et vous invite à visiter du «vieux proprio» qui vit au quatrième et fait rire ceux qui ne se traînent pas à genoux dans les pèlerinages culturels (voir sa vidéo de 1959).
Car après ce bain de purification visuelle, quoi de plus hilarant que de voir un immense Frank Stella aussi ridicule qu’un Mathieu dernière cuvée. De découvrir un énorme Carl André en bois coincé dans un recoin. De trébucher dans des cordelettes protégeant le piano de Beuys. La chambre de feutre, le Canada de Boltanski, les jouets de Filliou, le frigo de Raynaud, les bidules de Stark, plus rien ne tient la route de par le contexte tubulaire environnant et se transforme en rigolarium de foire. Le comble est atteint où se retrouvent les anciens ennemis jurés de Buren. Support-surface et Cie ont l’air de passe-temps pour hospices de filles mères. Oublions les autres niveaux qui ont moins d’intérêt, à part les escalators, pour aboutir à la fosse, ou tant d’artistes renommés se sont cassés les dents dans d’éphémères et vaines monstruosités. Burbur, sans subir de refus, l’a transformé en parking pour Renault (suivez mon regard). Cette mise en sandwiches et en pièces de l’espace tape-à-l’œil, orgueil d’une capitale, qui le chouchoute comme un vieux Wurlitzer, est impitoyable. Elle révèle en dur la prétention moderniste d’un temps révolu et met en exergue la façade obsolète du matuvuisme parisien. La branchitude peut acclamer Buren, il a pu violer Beaubourg, en péridurale. Il lui a dit, avec des fleurs cette fois, qu’il ne tenait pas rancune des injures du temps passé, sans toutefois les oublier. Mais comme dans toute greffe, l’incompatibilité entraîne le rejet. Le dispositif enlevé rend à Beaubourg son provincialisme étriqué et Paris est de nouveau comme avant. C’est d’autant plus visible que risible.
No comments